Un refuge pour la pensée à la lisière des mondes
Un des principaux enjeux du Projet Scientifique et Culturel en cours d’écriture consiste en renforcer la lisibilité des liens entre les périodes et les collections du Mumig afin de mieux donner à voir et à comprendre les processus d’habitabilité des Grands Causses au cours du temps. Il s’agit également d’inscrire les réflexions qui en découlent dans les dynamiques du temps présent afin de faire du musée un espace de rencontre et de discussion au cœur duquel se pensent et se tissent les relations entre humains, non humains et milieux de vie aujourd’hui.
Un rôle clé à jouer dans les métamorphoses du monde contemporain
Nous considérons en effet, d’un point de vue anthropologique, que le musée a un rôle clé à jouer dans les . Il doit être en mesure de proposer une réponse aux transformations écologiques du territoire depuis son lieu, en réinventant un lien créatif entre les collectifs qu’il abrite. Les problématiques du temps présent doivent réintégrer la muséographie en étant pensées et travaillées dans l’articulation des objets entre eux, des récits entre eux, des collectifs entre eux pour composer une puissante constellation à même de vitaliser l’imaginaire politique dont nous avons tant besoin pour construire un futur désirable et enthousiasmant.
Une méthodologie spécifique autour de ses collections permanentes
Pour mener à bien ce projet, l’équipe du Mumig a choisi d’expérimenter et de déployer une méthodologie spécifique autour de ses collections permanentes. Chaque année, l’accent est mis sur une collection en particulier, favorisant de la sorte le travail d’inventaire et de récolement. L'exposition temporaire et la programmation culturelle sont orientées autour de cette même collection afin d’en proposer de nouveaux éclairages connectés aux enjeux du temps présent et de créer des liens avec les autres collections.
« Epidermique – Des Causses aux gants »
Exposition consacrée à la collection mégisserie-ganterie et présentée au musée en 2023, constitue en ce sens une première tentative métamorphique pour qu’un musée devienne non plus seulement un lieu de conservation et d’exposition, mais aussi de débat et d’expérimentations mobilisables par chacun.
Le musée doit ainsi, comme l’a montré l’expérience menée autour de la collection mégisserie-ganterie, se situer à la lisière des mondes, là où convergent les chemins, où l’on se retrouve pour discuter, s’apprivoiser, s’ébrouer… là où, réchauffés par la marche qui les a conduits jusque-là, les corps se racontent, les regards se mêlent, les expériences se fondent, les perceptions s’attisent et s’aiguisent. Car la lisière est le lieu de tous les désirs et de tous les possibles, là où chantent les langues, celui de la rencontre fortuite ou souhaitée avec l’autre, humain, végétal, animal et formes de vie en tout genre. Il arrive aussi parfois que l’on s’y grogne, que l’on s’y emporte ou que l’on s’y cogne, faute d’avoir pu se comprendre.
Il est vrai que nous n’avons pas les mêmes façons d’appréhender le monde et qu’il en faut du temps pour défaire les préjugés ! La lisière est ainsi faite, de joies et de picotements. Elle nous invite à emboîter le pas de celles et ceux qui y cheminent car c’est précisément dans cet entre-deux liminaire que sont réunies les conditions du dialogue pour penser et envisager collectivement la façon dont nous souhaitons continuer de vivre et habiter dans les Grands Causses.
Un partenariat avec la Chaire Habitabilité de la terre et transitions justes de la Sorbonne
Après avoir approfondi l’expérience en 2024 à travers le projet « Autochtonies – Objets, pratiques et imaginaires des Grands Causses » qui a permis d’aborder la notion d’habitabilité à partir de l’ensemble des collections du musée et de construire des passerelles avec de nouveaux collectifs tels que les grimpeurs et spéléologues attachés aux pratiques de pleine nature, le Mumig s’est engagé, en 2025, dans un partenariat avec la Chaire Habitabilité de la terre et transitions justes de la Sorbonne occupée par l’anthropologue Nastassja Martin dont le projet scientifique consiste en éclairer les réponses alternatives apportées par divers groupes et collectifs, depuis leurs lieux, pratiques et ontologies (les êtres et les relations qui composent leurs mondes) aux métamorphoses environnementales.
Partager cette recherche scientifique avec le plus grand nombre en sortant du huis-clos académique et en tissant des liens avec des acteurs de terrain tels que le Mumig constitue donc une ambition à la fois intellectuelle et politique.
Des rencontres hors les murs
Une première rencontre a été coorganisée en ce sens à Millau et sur le Larzac à la fin du mois de mars 2025, en partenariat avec les Cinémas de Millau, le Bistrot des ethnologues, la Chaire Habitabilité de la terre et transition juste de la Sorbonne et le Mas Razal.
Le 27 mars, nous avons changé d’angle de vue avec le film de Sylvère Petit, Vivant parmi les vivants. Nous avons inversé les représentations, perçu l’animalité des humains en quelque sorte et approché le regard que certains non-humains, ici un chien balloté entre villes et campagnes, là des chevaux de Przewalski galopant sur le Causse Méjean, portent sur le monde qui les entoure.

Rencontres avec Vinciane Despret
Le 28 mars, nous nous sommes demandés, avec la psychologue et philosophe Vinciane Despret, pourquoi et dans quelle mesure, faute d’avoir jusqu’ici eu voix au chapitre, les non humains peuvent prétendre à leur propre régime d’historicité, autrement dit à l’écriture d’une histoire qui leur est propre, indépendamment de celle énoncée depuis le point de vue de l’espèce humaine.
avec Philippe Descola
L’anthropologue Philippe Descola a développé, dans la foulée, le concept de capitalocène selon lequel c’est le capitalisme, en tant que système économique et organisation sociale du monde, qui est principalement responsable des dérèglements environnementaux actuels. Le chercheur a formulé des pistes de réponses pouvant être apportées aux diverses crises que nous traversons : garder une précaution d’usage vis à vis du terme « nature », accentuer les formes d’inalliabilité du vivant, élaborer des statuts juridiques pour des milieux de vie, multiplier les attachements et les dépendances entre nous pour renforcer les collectifs, accentuer la polyvalence dans nos pratiques, etc.
Et Nastassja Martin
En tant que maîtresse de la soirée, l’anthropologue Nastassja Martin a, quant à elle, pris le temps de présenter, sous forme de préambule et après que Katia Fersing, directrice du Mumig, ait expliqué en quoi un musée se situe justement à la lisière des mondes, le travail de recherche mené dans le cadre de la Chaire Habitabilité et transitions justes qu’elle occupe depuis 2023 : si, dans un premier temps, les concepts d’ « habitabilité » et de « transition » ont été déconstruit et explicité à la lueur d’un dialogue entre chercheurs et disciplines, il s’agit désormais pour la chercheuse d’éclairer les réponses alternatives apportées par divers groupes et collectifs, depuis leurs lieux, pratiques et ontologies (les êtres et les relations qui composent leurs mondes) aux métamorphoses environnementales. Mais pour ce faire, Nastassja a insisté sur l’incontournable nécessité de nommer ce qui nous lie à nos milieux de vie.
Une expérience collective au Mas Razal
Le 29 mars, au Mas Razal sur le plateau du Larzac, une première expérience collective a ainsi été menée en ce sens afin d’identifier les attachements qui nous lient aux Grands Causses : l’eau, la terre, le feu, le vent. Mais également la marche, la fête, le rythme, le rapport aux autres, la mort… et bien d’autres liens de réciprocités, de relations à ces plateaux et vallées, formes d’autochtonies en d’autres termes. Cette première rencontre constitue l’amorce d’une série de rdv thématiques qui seront proposés au public au cours des prochains mois. Chaque rencontre permettra d’approfondir la réflexion sur ce qui fonde l’habitabilité des Grands Causses à travers le temps, dont le Mumig a fait la colonne vertébrale de son travail. Chaque rdv sera accompagné du regard de deux chercheurs en sciences dures et sciences sociales permettant d’identifier, de nommer et de penser ces attachements. Ce travail de recherche participatif permettra de construire le contenu d’un grand évènement baptisé « Un refuge pour le pensée » en 2026.
Restez attentifs, nous vous tiendrons informés !
Pour aller plus loin :
Les podcast réalisés par nos partenaires
- Podcast réalisé par Radio Larzac :
- Reportage réalisé par Radio Saint-Affrique
- Podcast réalisé par Anaïs Vaillant, anthropologue et coprésidente du Bistrot des ethnologues de Montpellier, pour l’émission Ethnovibro : Audioblog | #52 - À la lisière des mondes : sur le Larzac avec Philippe Descola, Nastassja Martin, Katia Fersing et Justine Wojtyniak
Les publications
Fersing Katia et collectif, « Epidermique-Des Causses aux gants », in Patrimoni, Journal du patrimoine de l’Aveyron et de ses voisins, 2023, n° 106, p. 18-25.
Fersing Katia et collectif, « Autochtonies-Pratiques, récits et imaginaires des Grands Causses », in Patrimoni, Journal du patrimoine de l’Aveyron et de ses voisins, 2024, n° 110.
Martin Nastassja, Fersing Katia, « Faut-il prendre des gants pour tisser une écologie des relations au musée? », in Patrimoine, La revue de l’Institut national du patrimoine, Enjeux environnementaux. Protéger, anticiper, s’adapter, août 2023, p. 88-98.